Epilogue

21 Tháng Năm 20143:47 SA(Xem: 7357)

Arrivé au terme de notre excursion dans le domaine de la littérature ancienne, nous croyons utile de condenser dans une dernière page les observations éparses que nous avons faites sur la classe des lettrés dont cette littérature reflète la pensée et l’état d’âme. Les oeuvres que nous avons étudiées dans le présent livre sont essentiellement l’oeuvre des lettrés, élite certes, éducatrice et modèle du peuple, dont les couches profondes peuvent toutefois avoir des modes de penser et de sentir légèrement différents, qui feront l’objet d’un autre volume à paraitre : “La littérature viêtnamienne populaire”.

 

Cette réserve étant faite, il est clair que pour comprendre la littérature ancienne, il importe de savoir ce qu’était le lettré, quelles étaient sa conception de la vie et sa place dans la société viêtnamienne.

 

Le lettré : un produit d’intégration du Confucianisme,

 du Bouddhisme et du Taoïsme.

 

Sous la domination chinoise qui dura jusqu’en 939, les caractères chinois furent introduits au Việt Nam, et avec eux les trois grandes doctrines philosophiques qui dominaient la pensée chinoise, à savoir le Confucianisme, le Boudhisme et le Taoïsme. Il est essentiel de remarquer qu’à l’encontre de ce qui se passait en Occident où les diverses écoles se combattaient jalousement, il n’en a pas été de même en Extrême-Orient, dans les pays de culture chinoise. Le Confucianisme, le Bouddhisme et le Taoïsme y coexistaient pacifiquement, non pas côte à côte, mais intimement mélangés dans l’esprit de chaque Asiatique (en des proportions différentes, bien entendu, selon les individus). On disait communément :

 Lá xanh ngó trắng hoa màu thắm,

 Tam giáo như sen có khác nào ?

 

 Feuilles vertes, bourgeon blanc, fleur rouge,

 Les trois doctrines au lotus sont pareilles.

 

Le lettré n’était donc pas un Confucianiste exclusif, mais aussi un bouddhiste et un taoïste à certaines heures de sa vie. Et les critiques sévères qu’il formulait parfois contre le Bouddhisme ou le Taoïsme étaient dirigées exclusivement contre les abus et les supertitions qui souillèrent ces deux religions, non contre leurs doctrines. Il n’est pas question ici de faire un exposé complet des trois systèmes philosophiques qui se partageaient l’esprit du Việtnamien, et il suffira de noter :

- que le Confucianisme lui enseigne à bien vivre dans la société, à organiser sa famille et son pays suivant la loi morale existant dans la conscience de chacun ;

 

- que le Bouddhisme, constatant que la vie est douleur, et que chaque être porte en lui son karma résultant de ses actions dans ses existences antérieures, lui apprend à se délivrer de cette douleur et de ce cycle infernal des existences par l’annihilation de tout désir ;

 

- qu’enfin le Taoïsme, constatant que tous les maux de la société proviennent des règles artificielles fabriquées par l’homme, lui conseille de s’en délivrer complètement et de vivre selon la nature.

 

Pour caractériser ces trois doctrines en une formule, on pourrait dire que le Confucianisme est une doctrine d’action (hữu vi), le Taoïsme une doctrine de non-action (vô vi), et le Bouddhisme une doctrine qui prêche la délivrance (giải thoát) par un effort continu vers l’annihilation de tout désir. Et le lettré d’autrefois était confucianiste quand il accomplissait ses devoirs envers la famille et la patrie, taoiste lorsqu’il se délassait de ses occupations ou était découragé par des déboires, et enfin bouddhiste lorsqu’il méditait sur la vanité des choses humaines ou cherchait un refuge dans la religion pour y trouver un baume à son cœur meurtri. C’est ainsi que nous avons trouvé, pêle-mêle dans les auteurs étudiés :

- des thèmes d’inspiration confucianiste : les aspirations de l’homme viril, les devoirs d’humanité, de piété filiale, de fidélité conjugale, d’amitié, de patriotisme, etc.

 

- des thèmes d’inspiration taoïste : l’épicurisme, la fuite du temps, la description des beaux paysage, etc.

 

- des thèmes d’inspiration bouddhiste : la vanité du monde, l’enchainement des causes et des effets au cours des existences successives (le karma), etc.

 

Il va sans dire qu’il y a pas de cloison étanche entre ces diverses sources d’inspiration. Un même thème, suivant l’auteur et suivant le moment, peut-être d’inspiration confucianiste, taoïste ou bouddhique. L’amour, par exemple, est en général d’inspiration confucianiste, dans le Lục Vân Tiên et même dans le Đoạn trường tân thanh. Mais il se teinte de pensée bouddhique lorsque Thúy Kiều, meurtrie par la vie, se réfugie auprès de Giác Duyên pour expier dans les prières ses péchés de cette existence et des existences antérieures. Chez Dương Khuê, par contre, l’amour n’est que l’expression d’une conception épicurienne, c’est-à-dire taoïste de la vie.

 

Ces préliminaires étant posés, essayons d’esquisser l’évolution de la classe des lettrés dans le cours de l’Histoire.

 

Nous ne dirons rien du temps de la domination chinoise, où très peu de gens pouvaient s’adonner aux études. Au dessous des administrateurs chinois, il y avait des chefs de clans plus ou moins autonomes dans leurs fiefs, mais c’étaient surtout des chefs militaires, probablement illettrés. Les rares personnes capables de lire et de comprendre les caractères chinois étaient les bonzes qui devaient les étudier pour s’initier à la doctrine bouddhique. Les lettres n’avaient pas alors d’autre utilité.

 

Le lettré sous les dynasties des Lý Trần

 

Tout changea lorsque le Việt Nam eut recouvré son indépendance, car la direction des affaires de l’État exigeait des mandarins lettrés, capables de rédiger des rapports, des textes de loi, des proclamations au peuple, etc. De simple moyen d’étudier la religion, les lettres devinrent ainsi une nécessité politique. Et des examens littéraires furent organigés plus ou moins régulièrement pour assurer le recrutement des mandarins. Toutefois, pendant un long temps encore, les lettres restèrent confinées à un très petit nombre de gens pour plusieurs raisons :

 

1.- La difficulté de la langue chinoise d’abord, dont chaque mot est représenté par un hiéroglyphe différent. Il fallait dix, quinze années d’étude pour être capable de lire et d’écrire une simple lettre, un acte de vente, un testament.

 

2.- La rareté et la cherté du matériel scolaire. Tout était importé de Chine : livres, papier, pinceaux, encre, jusqu’au règne de Trịnh Cán (1682-1709) qui ordonna d’établir des manufactures de papier et des imprimeries dans les faubourgs de Thăng Long.

 

3.- Enfin, jusqu’au règne de Lê Thánh Tông, le recrutement des mandarins s’est fait en partie seulement par voie d’examens, d’ailleurs rares et très fermés (ils n’avaient lieu que tous les trois ou six ans, et n’admettaient chaque fois qu’une dizaine de lauréats docteurs).

 

La conjugaison de tous ces facteurs faisait que durant les dynasties des Lý et des Trần (10-14è siècle) les lettres étaient seulement étudiées par une minorité très restreinte. Elles servaient, nous l’avons dit plus haut, de véhicule aux trois grandes doctrines venues de Chine. Et, de fait, les premiers examens organisés comportaient des épreuves sur le Confucianisme, ou sur le Bouddhisme, ou sur le Taoïsme, pour recruter des docteurs, des prêtes bouddhistes ou des prêtes taoistes. Mais peu à peu la doctrine de Confucius prenait le pas sur les deux autres, parce qu’elle servait admirablement la cause de la société féodale et de la monarchie absolue en préconisant l’autorité du prince sur les sujets, celle du père de famille sur les enfants, et celle du mari sur la femme, etc.

Quoi qu’il en fut, sous la dynastie des Lý, la religion bouddhique dominait encore les esprits, parce que le fondateur de cette hynastie était un disciple des bonzes dont plusieurs avaient travaillé à faciliter son avènement, parce que les bonzes étaient encore les meilleurs lettrés de l’époque, et enfin parce que l’organisation patriarcale de la société de ce temps et la douceur de ses mœurs s’accordaient merveilleusement avec la doctrine de la miséricorde du Parfait Illuminé. D’autre part, la pression exercée par les Barbares du Nord (Mandchous, Mongols, Tartares) sur la Chine des Tống obligeait celle-ci à adopter vis-à-vis de son vassal du Sud une attitude conciliante. Le Việt Nam a pu ainsi, durant 200 ans, jouir d’une paix presque sans histoire, bercée seulement par le chant joyeux des moissonneurx et le son apaisant des cloches des pagodes. Et les lettrés, bonzes, princes ou mandarins, se penchaient volontiers sur les problèmes éternels du destin de l’homme et du caractère passager de la vie.

 

Sous la dynastie des Trần, l’agresseur mongol qui avait fini par conquérir toute la Chine, vint secouer cette quiétude quelque peu amollissante. Heureusement le Việt Nam avait alors à sa tête une famille énergique de pêcheurs qui, en prenant les rênes de l’Etat des faibles mains des rois fainéants Lý, se révélèrent des chefs hors pair. Ils organisèrent le pays militairement. Et le Việt Nam, dont les limites méridionales ne dépassaient pas la province actuelle de Nghệ An, put aligner en face des 500.000 Chinois et Mongols à peu près 200.000 guerriers. Ce fut une lutte épique où pour la premier fois le Việt Nam devait employer en face d’un adversaire trop puissant la tactique de la terre brûlée. Princes et princesses, paysans et paysannes, incendiaient leurs maisons et leurs récoltes pour faire le vide autour de l’ennemi. Le patriotisme atteignit à son paroxysme. Et, fait remarquable de cette époque héroïque, loin d’aboutir à la rudesse des mœurs comme on pourrait le penser, ces sacrifices virils ont favorisé l’éclosion des lettres et des arts. Cela ne doit pas nous étonner, puisque la féodalité militaire de l’Occident et du Japon a produit les mêmes effets. La cour des princes féodaux Trần, riches et puissants, était un brillant centre de rayonnement culturel. Les œuvres littéraires les plus remarquables de cette époque étaient l’œuvre soit des princes de la famille impériale, soit de leurs clients. Et naturellement, dans ces œuvres, les thèmes favoris étaient le patriotisme, les aspirations de l’homme viril, les devoirs du citoyen dans la société, etc. On s’écartait ainsi de plus en plus de l’enseignement bouddique pour se rapprocher du Confucianisme, mais d’un Confucianisme encore dynamique, philosophique et non littéraire. D’autre part, parce que la machine administrative était restée très simple, on n’avait pas besoin de beaucoup de mandarins ; la plupart d’entre eux continuaient d’ailleurs à être recrutés par voie de recommandation, et les examens littéraires ne fournissaient encore qu’un très petit contigent de dirigeants. Ainsi donc, jusqu’à la fin du XIVè siècle, nous pouvons dire que l’influence du Confucianisme est allée en croissant parmi les lettrés, mais que ceux-ci ne formaient pas encore une classe nombreuse dans la société. Plus exactement, la majorité des lettrés étaient des chefs féodaux et leurs vassaux ; dans le peuple, ils étaient encore assez rares.

 

Mais la qualité suppléait largement à la quantité. Le Confucianisme avec son idéal du Sage, humain, loyal, courtois, large d’esprit, fidèle à la parole donnée (nhân, nghĩa, lễ, trí, tín), a donné au Việt Nam des fils pieux, des sujets fidèles, des hommes d’Etat remarquables qui font honneur à notre pays et même à l’humanité entière. Tô Hiến Thành, Trần Quốc Tuấn, Chu Văn An, pour ne citer que quelques exemples, étaient des lettrés formés à l’école du Confucianisme.

 

Tô Hiến Thành fut premier ministre sous le règne de l’empereur Lý Anh Tông qui, à sa mort, confia son jeune fils Long Cán à sa tutelle. L’impératrice douairière qui avait un faible pour un autre prince, voulut imposer celui-ci à la Cour. Mais ni ses cadeaux, ni ses menaces ne purent faire dévier Tô Hiến Thành de son devoir, et l’impératrice dut finalement s’incliner devant le fidèle ministre. Quand il tomba malade, Tô Hiến Thành fut soigné avec dévouement par un de ses collègues, Vũ Tấn Dương. Mais lorsque l’impératrice se rendit à son chevet pour lui demander qui pourrait lui succéder à la directrion de l’Etat, il désigna Trần Trung Tá. Etonnée, l’impératrice lui demanda :

-Pourquoi ne désignez-vous pas Vũ Tấn Dương qui vous est si dévoué ?

-Si Votre Majesté me demandait un fidèle serviteur, je lui proposerais Vũ Tấn Dương. Mais comme elle me demande un grand ministre, je ne puis que lui désigner Trần Trung Tá.

 

Trần Quốc Tuấn, nous l’avons vu, a sauvé le pays du péril mongol par sa grande énergie. L’Histoire rapporte que son père, le prince Trần Liễu, qui avait des motifs de haine contre l’empereur Trần Thái Tông, lui recommanda sur son lit de mort de s’emparer du trône pour le venger. Mais Trần Quốc Tuấn considéra que ces dernières paroles de son père étaient une aberration, et ne les suivit pas. Bien mieux, un de ses fils ayant tenté de les lui rappeler, il l’excommunia durement.

 

Chu Văn An, était un grand dignitaire du règne de Trần Dụ Tông. Voyant la Cour envahie par des mandarins infidèles, il adressa courageusemnt au souverain un rapport demandant la tête de sept plus grands d’entre eux. Sa demande ayant été rejetée, il démissionna pour aller vivre dans une paillote.

 

Ces quelques exemples suffisent à nous montrer l’influence bienfaisante du Confucianisme sur l’esprit des lettrés. Mais lorsque cette doctrine philosophique se transforma en un moyen de parvenir aux honneurs (par la voie des examens), tout dégénéra. C’est ce qui arriva sous la dynastie des Lê, dès le début du XVIè siècle.

 

Le lettré sous la dynastie des Lê

 

D’abord destiné à maintenir l’autorité du souverain sur les chefs régionaux et à assurer au peuple une juste paix, le Confucianisme finit par favoriser la tyranie du prince et l’oppression du peuple. D’abord haute doctrine philosophique et morale, le Confucianisme finit par se transformer en une matière d’examens menant aux honneurs et richesses. Il arrive ainsi qu’à part une minorité de confucianiste authentiques, puisant dans l’enseignement du Maître les grandes règles de la vie morale, la plupart des soidisant lettrés n’étaient que des “bachoteurs” plus soucieux de disserter du Confucianisme en termes élégants que de l’appliquer réellement dans leur conduite.

 

De cette dégénérescence des études, nous avons plus d’un témoignage désenchanté. D’abord cette appréciation sévère du grand érudit Lê Quý Đôn qui vivait à la fin du XVIIIè siècle :

 

 Lúc khai quốc thì nhà nho vắng vẻ

 Lúc trung hưng thì nhà nho xu thời

 Lúc Lê mạt thì mua quan bán tuớc.

 (Khảo luận về Trần Tế Xương, p.30)

 

A la fondation de l’empire, les lettrés étaient encore rares ;

A la restauration, ils furent des opportunistes ;

Et maintenant, ils font le trafic des brevets et des places !

 

Voilà pour le moral de cette prétendu élite intellectuelle. Leur savoir ne valait guère mieux. Comment en serait-il autrement ? On admirait tant le Confucianisme qu’on pensait qu’il tenait lieu de tout et suffisait à tout, à former aussi bien des administrateurs que des juges, des stratèges, voire des ingénieurs ! Ainsi ne faut-il pas s’étonner si un autre écrivain de la fin du XVIIIè siècle, Phạm Đình Hổ, a du pousser le cri d’alarme suivant dans son Vũ trung tuỳ bút (Notes écrites pendant la pluie ) : (Quốc văn trích diễm, p. 210)

 

J’ai lu dans les livres anciens que l’empereur Vũ 1 se prosternait à terre devant celui qui lui donnait un bon conseil, que le duc Chu 2 se considérait toujours comme insuffisamment instruit, que le sage Nhan interrogeait même ceux qui lui étaient inférieur sur les points qu’il ne connaissait pas à fond. L’empereur Vũ et le duc Chu ont rendu d’immenses services au peuple, et le sage Nhan, quoique n’occupant aucune fonction publique, a eu le mérite de transmettre aux siècles suivants la philosophie de son maitre. Ils étaient néanmoins remplis de modestie, sincèrement et non avec affection pour recevoir des éloges. Leur modestie provenait de leur vertu, et ils ne savaient même pas qu’ils étaient des sages.

 

A l’époque actuelle, au contraire, on ne songe qu’à étudier, et fort bruyamment , sans chercher à se perfectionner soi-même, ni à bien diriger sa famille, ni à administrer son pays, ni à pacifier le monde. Tels qui connaisent quelques caractères se vantent déjà orgueilleusement d’être des lettrés éminents. Sans compter que leur talent est aussi minuscule qu’un terre tout à fait insuffisant pour leur permettre de parler du ciel et de la mer, même s’ils avaient réellement du talent, celui-ci ne servirait qu’à assurer leur bien-être et celui de leur famille ; quant à aider l’empereur à faire le bonheur du peuple, n’en parlons pas ! Mais le plus souvent leur savoir est inexistant, et ne ferait que nuire au peuple s’il était mis en application. Loin de redouter de s’attirer des reproches, ils osent encore faire le fier !

 

Je connais nombre de ces toqués qui ont réussi à écrire quelques belles phrases, et qui s’en vantaient devant leurs parents et amis, déclarant qu’ils allaient devenir grands dignitaires ! Mais par malheur leurs cheveux blanchissent déjà qu’ils n’ont pas réussi aux examens ; alors ils se mettent à récriminer contre l’injustice du ciel et la barbarie des examinateurs. Leur exaspération s’exhale dans leurs poèmes et leurs paroles. Même après qu’ils ont perdu leurs dents, ils ne savent pas encore qu’ils sont des ignorants. Ne sont-ils pas à plaindre ?

 

Je n’ai pas eu le bonheur d’aller à l’école dans ma jeunesse. Devenu grand, j’ai voulu me préparer aux examens, et j’ai essuyé bien des railleries de ces gens-là 1. Mais je me souviens de ce précepte du Sage : “Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse”. Ce conseil m’est resté au cœur, et je me suis efforcé de ne pas imiter le monde 2, quoique je ne sois pas toujours sans reproche dans mes paroles et dans mes actes. Si quelqu’un vient me dire que je suis pareil à ceux-là, j’y souscris volontiers. C’est avec la pierre vulgaire qu’on polit les diamants 3. Comment oserais-je ne pas prendre ce précepte pour guide de ma conduite ?

 

 

Pour compléter le tableau du milieu dans lequel évoluaient les lettrés sous la dynastie des Lê, rappelons brièvement les luttes fraticides qui divisaient le pays en deux royaumes ennemis, les révoltes paysannes incessantes, les révolutions de palais, et surtout le douloureux drame de conscience qui torturait les authentiques confucianistes devant l’insurpation du pouvoir de l’empereur Lê par les seigneurs Trịnh, et nous comprendrons que la classe des lettrés, sous la dynastie des Lê, a porté un germe de mort dans son ascension prodigieuse.

 

Quand il n’était pas enivré par de vains honneur (cf. l’apologie du lettré par Lê Quý Đôn, p. 140) – ce qui était assez rare, nous dirons pourquoi – le lettré de ce temps était le plus souvent attristé par les malheurs publics qu’il avait sous les yeux, et versait dans un pessimisme noir teinté de bouddhisme. Ce fait remarquable semble être un paradoxe, mais c’est la vérité. A l’époque où les lettrés étaient le plus en honneur, on ne rencontre guère de fiers apologistes tels que sera Nguyễn Công Trứ sous la dynastie des Nguyễn, mais seulement des moralistes moroses comme Nguyễn Bỉnh Khiêm, des poètes élégiaques comme Đoàn Thị Điểm et Nguyễn Gia Thiều, des révoltes amers comme Phạm Thái et Hồ Xuân Hương.

 

Pourquoi ? Parce que si les lettrés occupaient ostensiblement les premières charges de l’Etat, ils n’étaient que des instruments serviles entre les mains du shogun Trịnh et de sa clique militaire qui les asservissaient à leurs ambitions illégitimes. D’où abscence de fierté virile, absence de confiance en leur mission, absence surtout de foi dans les principes moraux appris dans les livres, mais bafoués publiquement dans la réalité.

 

La première leçon du Confucianisme est la fidélité au prince. Mais à quel prince ? L’empereur Lê était le souverain légitime, mais tout le pouvoir était passé aux mains des seigneurs Trịnh. Ce régime bicéphale n’était pas sans troubler la conscience de certains esprits, alors que la plupart des autres tâchaient de s’en accommoder tant bien que mal. Ce drame douloureux est mis en lumière dans l’épisode suivant : En 1738, le prince impérial Lê Duy Mật essaya de renverser le shogun Trịnh. Il échoua dans son entreprise, mais durant un certain temps la Cour fut divisée en deux clans : celui des Lê et celui des Trịnh. Un haut dignitaire fut arrêté par le parti adverse et interrogé :

-Vous qui avez étudié les Sages, pourquoi vous abaissez-vous à embrasser la cause des rebelles ?

-Quels rebels ? Depuis longtemps personne ne sait plus de quel côté est le pouvoir légitime, et de quel côté est la rébellion.

Et il tendit son cou qui fut coupé proprement.

 

C’était encore un authentique disciple de Confucius, bien qu’il ne vit pas clairement la cause pour laquelle il était résigné à mourir. Mais d’autres n’avaient pas autant de scrupules dans leur conduite. La démoralisation s’étalait partout, dans l’armée, dans l’administration civile, et même dans l’organisation des examens. L’Histoire rapporte qu’on pouvait en ce temps-là devenir préfet ou sous-préfet en versant au Trésor 2.800 ou 1.800 ligatures de sapèques. Les titres prestigieux de licencié et de docteur ne valaient guère mieux : le camp des examens était devenu un marché où les diplômes se vendaient et s’achetaient presque publiquement.

 

Le soulèvement des Tây Sơn vint donner le coup de grâce à cette société plus que pourrie. Le monde sembla s’écrouler devant les yeux hébétés des pauvres lettrés impuissants. Et les sacrifices sublimes des Nguyễn Đình Giản et Trần Danh Án ne firent qu’accentuer douloureusement la faillite du Confucianisme devant la marche fatale de l’Histoire.

 

L’enseignement du Grand Maître est arrivé à une impasse. Il bâtissait la société sur la bonté, la loyauté, la courtoisie, société où le sujet reconnaissait l’autorité du Prince, le fils celle du père, la femme celle du mari, où tous les différends seraient résolus non d’après les lois artificielles mais d’après des règles morales immuables. Ce système pouvait être bon dans une société patriarcale, restée au stade de l’économie agricole. Mais lorsque la société eut évolué vers un stade plus composite, son insuffisance éclata. L’autorité du prince dégénéra en tyranie ou en faiblesse, la corruption s’installa dans la machine administrative déréglée par l’incompétence des fonctionnaires, et, dans les rapports sociaux, l’homme est devenu un loup pour l’homme. L’image de cette société corrompue est donnée magistralement dans l’immortel chef-d’œuvre de Nguyễn Du. Nous y voyons des mandarins extorquer de l’argent à un pauvre innocent accusé faussement, des patronnes de maisons closes exploiter sauvagement les charmes de leurs pensionnaires, des femmes nobles faire enlever impunément leurs rivales et les réduites à l’état d’esclaves, des pirates défier arrogamment l’autorité du souverain, des grands généraux abuser lâchement leurs adversaires par des pièges ignobles, etc, etc.

 

On eut pu espérer que la société féodale des Lê était morte à jamais avec l’avènement des Tây Sơn. Mais le grand empereur Quang Trung est mort prématurement, et ses efforts de rénovation se sont vite volatilisés sous le règne de son fils débile Nguyễn Quang Toản.

 

Le lettré sous la dynastie des Nguyễn

 

L’empereur Gia Long a eu le mérite de réaliser l’unité du Việt Nam et de lui redonner une splendeur depuis longtemps perdue. Politiquement, il réussit à former un gouvernement central très fort, mais socialement il n’a rien tenté pour arrêter la décomposition de la société féodale. Lui et ses deux premiers successeurs ont eu néanmoins la chance de n’avoir eu à affronter que des révoltes intérieures ou des pays voisins faibles. Ce fut durant ce court laps de temps (1802-1850) que la classe des lettrés connut son apogée. Plus de généraux turbulents, plus de soldats indisciplinés. L’empereur ne voyait et n’entendait que par les yeux et les oreilles de ses conseillers lettrés. C’est ce qui nous explique les accents superbes des Nguyễn Công Trứ et Cao Bá Quát, fermement convaincus que le lettré était un être supérieur qui avait droit à tous les honneurs et à toutes les jouissances de la vie.

 

Pour qu’ils fussent admis dans cette élite, avec quelle ferveur les parents se saignaient pour envoyer leurs enfants “mendier l’enseignement du Saint Maître (ăn mày chư thánh). Le pays se couvrait d’écoles, jusque dans les plus humbles hameaux. En plus des écoles, se formaient un peu partout des sociétés d’étudiants (văn phả) qui se réunissaient mensuellement dans les pagodes, les temples communaux, ou même chez des mécènes désireux de s’attribuer une part de la gloire des étudiants. Dans ces réunions mensuelles, on organisait des examens préparatoires, identiques aux examens officiels. Les plus éminents lettrés de la région étaient invités à composer le jury de correction : mandarins en retraite, ou précepteurs célèbres. Les copies faites et remises au jury, la journée s’achevait par un banquet offert par l’amphytrion généreux, ou organisé par cotisation des étudiants. Au bout de quelques jours, la proclamation des résultats avait lieu, presque aussi solennellesment que pour les examens officiels. Et les lauréats de ces examens fictifs jouissaient d’une considération très appréciée dans le village.

 

De son côté, le Gouvernement faisait tout pour favoriser cet engouement du peuple pour les lettres. Cinq centres d’examens pour l’octroi du titre de licencié furent ouverts dans le pays : un au Sud, deux au Centre et deux au Nord. Pour conquérir le titre de docteur, les candidats devaient se rendre à Huế, où ils affrontaient d’abord un examen probatoire (thi Hội), puis un examen définitif (thi Đình) dans le Palais Imprérial même. Les lauréats docteurs étaient admis à l’honneur d’entendre leurs noms proclamés du haut du Pavillon Phú Vân Lâu, d’être invités à un banquet offert par l’empereur, de recevoir un bonnet et une robe de cérémonie également offerts par l’empereur, de se promener en ce costume d’apparat dans le jardin impérial et dans les rues de la Capitale, enfin de faire une rentrée triomphale dans leur village natal.

 

Ces mesures d’encouragement aux études étaient évidemment dictées par la politique, car on était persuadé que les lettres adoucissaient les mœurs, et que les distinctions accordées aux lettrés gagnaient à la Cour les éléments les plus brillants, les plus dangereux par conséquent, de la population. Dans ces calculs, on ne se trompait qu’à demi, car si la plupart des gens (pas tout ! il y eut toujours des aigris, témoin Cao Bá Quát) ne pensaient qu’à étudier pour réussir aux examens, l’économie du pays s’en ressentait fâcheusement. N’étaient pas rares les lettrés malchanceux qui devaient vendre rizières et maisons pour continuer leurs études jusqu’à la vieillesse. Mais ce qui était plus grave, c’était que l’agriculture périclitait, de même que l’industrie et le commerce, et surtout la défense militaire fut complètement négligée. Tout le Việt Nam s’endormait délicieusement dans son rêve des beaux poèmes et des succès littéraires.

 

 

Le réveil brutal

 

Lorsqu’en 1847 les canons étrangers bombardèrent les forts de Tourane pour venger des massacres de missionnaires, la Cour ne pensa qu’à redoubler les mesures de persécution religieuse et fermer hermétiquement les portes du Việt Nam à tout “diable blanc”. Faisons entre parenthèses une remarque. Le peuple viêtnamien est essentiellement tolérant, et l’on a vu que Bouddhisme et Taoïstme coexistaient paisiblement avec le Confucianisme. Si le catholicisme a été impitoyablement persécuté à son introduction au Việt Nam, ce n’est pas tant parce que son enseignement choquait les idées religieuses que parce qu’il a été introduit par des hommes de race blanche, des “Barbares” qu’on méprisait à tort et qu’on redoutait avec raison.

 

Le fond de la question était d’ordre culturel et non religieux.

 

Le peuple Viêtnamien vivait depuis des millénaires dans l’orbite de la Chine ; la culture chinoise, devenue nationale, était la seule concevable, la seule légitime, et toute opinion contraire était taxée de crime d’ompiété envers les ancêtres, de trahison envers la patrie. Ci-dessous nous traduisons un passage de l’Abrégé de l’Histoire du Việt Nam (Việt Nam sử lược, p. 474) de Trần Trọng Kim, qui éclairera le lecteur sur l’état d’esprit de la Cour (et de la majorité des lettrés) au moment où le Việt Nam allait entrer en conflit avec la France .

 

. . . . La situation à ce moment était extrêmement grave, car depuis le début du XIXè siècle, les pays étrangers ont progressé considérablement en matière de sciences, de même qu’est devenue très aigue leur rivalité. Cependant nos dirigeants ne pensaient qu’à la littérature ; s’ils discutaient de politique, ils citaient des faits des règnes de Nghiêu, Thuấn, Hạ, Thương, Chu, qui dataient de plusieurs milliers d’années, pour les donner en exemple au temps présent. Ils se prenaient pour le seul peuple civilisé, tous les autres étant des barbares. Telle était l’opinion de la majorité des mandarins de la Cour. Il y avait bien quelques uns qui étaient allés à l’étranger, qui en avaient rapporté des histoires merveilleuses, mais on taxait leurs récits de mensonges, propres seulement à ruiner l’ordre de la société. Aussi ceux qui ne savaient rien se drapaient-ils dans leur orgueil, tandis que ceux qui savaient devaient faire les sourds et les muets, ne pouvant confier leur inquiétudes à personne.

 

Parfois l’empereur (Tự Đức), dans les dernières années de son règne, a interrogé sur les moyens de rendre le pays prospère et l’armée puissante, mais ses conseillers, après avoir discuté à perte de vue, n’ont réussi à se mettre d’accord sur aucune mesure. Et cependant, quelques esprits éclairés qui ont voyagé à l’étranger ont bien proposé des réformes. Ainsi, en 1866, 19è année du règne Tự Đức, trois habitants de Nghệ An : Nguyễn Đức Hậu, Nguyễn Trường Tộ et Nguyễn Điều sont allé étudier à l’étranger. A son retour, Nguyễn Trường Tộ a présenté plusieurs rapports exposant la situation de notre pays et celle du monde pour demander des réformes urgentes sans lesquelles notre pays perdrait son indépendance. L’empereur transmit à la Cour pour examen ces rapports qui furent taxés d’imposture !

 

En 1868, 21è année du règne Tự Đức, un habitant de Ninh Bình nommé Đinh Văn Diên présenta un rapport dans lequel il exposa un programme d’exploitation des terres en fiches et des mines, de construction des chemins de fer, d’ouverture des ports au commerce extérieur, de réformes militaires, fiscales, sociales etc, toutes idées judicieuses que la Cour rejeta en bloc comme inutilisable !

 

Des mandarins revenus de mission à l’étranger proposaient également des réformes, toutes rejetées par la Cour ! En 1879, 32è année du règne Tự Đức, Nguyễn Hiệp qui rentra du Siam fit savoir que ce pays avait accepté d’entretenir des relations commerciales avec l’Angleterre, ce qui ôta à celle-ci tout prétexte d’hostilité. Mieux que cela, le Siam a consenti également à la France, à la Prusse, à l’Italie et aux États-Unis d’Amérique le droit d’ouvrir des consulats, ce qui fit que tous ces pays avaient des droits égaux au Siam et s’empêchaient mutuellement de l’opprimer.

 

En 1881, 34è année du règne Tự Đức, Lê Dinh, de retour de Hong Kong, exposa à l’empereur “que les pays occidentaux devaient leur puissance à leur commerce et à leur armée, celle-ci étant destinée à protéger celui-là, qui à son tour fournissait des fonds pour entretenir l’armée. Récemment, le Japon et la Chine, suivant l’exemple des pays occidentaux, ont ouvert leurs ports au commerce international. Notre pays, dont les habitants sont intelligents et les ressources abondantes, n’aura aucune difficulté à sauvegarder son indépendance s’il consent à imiter ces exemples.”

 

La même année, Phan Liêm préconisa le développement du commerce, la fondation des sociétés commerciales et l’envoi d’étudiants à l’étranger pour apprendre l’art d’exploiter les mines. Son rapport, présenté à l’examen de la Cour, reçut l’annotation suivante : “Inutile de développer le commerce ; quant aux autres projets, ils devront recevoir l’avis préalable des provinces”. C’était une manière comme une autre de repousser les réformes, dont personne ne voulait . . .

 

 

Si les grands mandarins de la Cour étaient aussi aveugles, combien plus encore devaient être les lettrés ! Et nous ne sommes nullement surpris de voir l’armée régulière viêtnamienne se débander pitoyablement devant les balles françaises. Heureusement, si la perspicacité leur a fait défaut, nos lettrés l’ont rachetée par des sacrifices héroïques dignes de l’admiration universelle, et même de leurs adversaires. Des Nguyễn Trung Trực, Phan Đình Phùng, Lê Tuân, etc. avec leurs partisants armés de simples bâtons de bambou, ont infligé au corps expéditionnaire français des pertes sanglantes, et il n’a pas fallu moins de trente ans à l’envahisseur pour pacifier à peu près sa conquête.

 

Il n’en demeure pas moins que l’intervention française fut certainement le plus grand bouleversement qu’eut connu l’Histoire du Việt Nam. Elle a dépassé en importance les évènements tragiques de la fin du XVIIIè siècle qui n’ont fait que renverser certaines familles régnantes au profit d’autres, sans que l’indépendance du pays fut mise en question. Même la domination chinoise de 1407-1428 ne lui est pas comparable quant à ses répercussions psychologiques, d’abord parce qu’elle fut relativement courte, et surtout parce que l’envahisseur chinois appartenait à la même culture que le peuple viêtnamien. L’envahisseur français au contraire, déconcerte par son langage, ses coutumes, ses croyances, son refus du culte des ancêtres, son ignorance de la philosophie confucéenne, la seule concevable ; en un mot, il suscite tout à la fois la terreur, la haine et le mépris. Nous avons parlé d’écroulement du monde pour peindre le désarroi des lettrés lors de la chute pitoyable du régime des Lê-Trịnh, parce que dans leur conception la patrie s’identifiait avec la dynastie qu’ils servaient. Celle-ci disparue, il n’avaient plus aucune influence dans la société, parfois même plus de moyens d’existence, et en tout cas plus de joie de vivre, plus de raisons d’espérer ; le monde s’écroulait bien à leurs yeux. Mais combien cette image serait plus saisissante encore, appliquée, non plus à la disparition d’une dynastie, mais à celle de toute une culture, de tout un fonds millénaire de croyances et de pensées, que fut l’intervention française dans la seconde moitié du XIXè siècle ! C’est ici que nous aurions du situer l’écroulement de l’univers antique .

 

Conclusion.

 

Toujours est-il qu’au sortir de cette épreuve, la classe des lettrés a subi une déchéance irrémédiable en tant que classe dirigeante de la nation. Presque tous ses leaders ont failli à leur mission, soit par aveuglement (Tôn Thất Thuyết, Nguyễn Văn Tường), soit par trahison (Hoàng Cao Khải, Nguyễn Thân), soit par incapacité (Phan Thanh Giản, Hoàng Diệu, Phan Đình Phùng). D’où découragement dans le monde des lettrés, et désaffection progressive du peuple à l’égard de son ancienne élite. En vain Nguyễn Khuyến nous aura laissé une image adorable et respectable du sage d’autrefois, nous savons bien que son époque est révolue.

Et cela est infiniment triste. Du Xè siècle jusqu’à la fin du XIXè siècle, le Việt Nam a pu se glorifier d’être dirigé, non pas comme ailleurs par des guerriers brutaux, des politiciens tortueux ou des financiers cupides, mais par des gens cultivés, pacifiques, ayant éminemment le sens de l’humanité, fruit de leur formation culturelle confucéenne, bouddhique et taoïste, des sages qui n’avaient d’autre souci que de laisser le peuple vivre en paix, bien tranquillement au milieu de ses rizières, auprès de ses pagodes et de ses temples communaux. Bien entendu, tout n’était pas idyllique dans notre Histoire, et le Việt Nam a connu aussi bien des tyrannies odieuses et bien des révoltes sanglantes. Mais au fond, ces excès n’ont jamais éprouvé qu’une faible minorité, alors que l’immense majorité du peuple s’en est toujours gardée hors d’atteinte. “Phép vua thua lệ làng”, la loi du souverain le cède aux coutumes du village, cet aphorisme, reconnu implicitement par les autorités, a longtemps permis à nos paysans de vivre paisiblement à l’abri de leurs haies de bambou.

 

Ce régime paternaliste est justement du à l’influence des lettres et des lettrés. Disons mieux : Il n’était possible que tant que la classe des lettrés gardait une place prépondérante dans la société. Dans les œuvres de Nguyễn Công Trứ, nous avons vu que le lettré (surtout s’il était doublé d’un mandarin en retraite) était considéré comme le chef spirituel du village : c’était à lui que s’adressaient de préférence les plaideurs pour trancher leurs différends à l’amiable ; c’était lui qui livrait à l’approbre les usuriers, les propriétaires cruels, les fils impies, les femmes méchantes ; c’était lui, en un mot, qui dirigeait l’opinion publique dans le village, et l’opinion publique, chez nous plus que partout ailleurs, était redoutée plus que la loi même.

 

Mais lorsque la classe des lettrés eut été descendue de son piédestal, ce fut le chaos, l’insolence des parvenus, les appétits grossiers qui s’installèrent dans la société viêtnamienne à la place de l’ordre, de la courtoisie et des plaisirs délicats. Nous en savons quelque chose à travers les poèmes satiriques de Trần Tế Xương.

 

En terminant ces lignes sur la littérature ancienne, nous ne pouvons nous empêcher d’adresser une pensée émue à nos lettrés qui ont bâti ce doux Việt Nam que nous ne connaissons plus, hélas !



1 Fondateur de la dynastie des Chu (Zhou 周.

2 Conseiller éminent de l’empereur Vũ (Wou 武).

1 Parce que l’auteur ne voulait pas suivre les méthodes d’étude de ses camarades, qui consistaient à ciseler des phrases bien ronflantes mais vides de sens.

2 En réalité, tout en se défendant de critiquer ses contemporains, l’auteur les malmène rudement dans ses “Notes écrites pendant la pluie”.

3 C’est-à-dire que l’auteur accepte la critique.

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