Nguyễn Tự Alias Nguyễn Dư

21 Tháng Năm 20142:54 SA(Xem: 7213)

Originaire du village de Gia Phúc, province de Hải Dương. Fils de Nguyễn Tường Phiêu, docteur et ministre sous le règne des derniers souverains Lê de la première période.

Lui même fut reçu licencié et nommé sous-préfet de Thanh Toan, province de Phú Thọ. Mais au bout d’un an seulement, il se démit de ses fonctions pour se consacrer à sa vieille mère qu’il entourait de soins pieux. Nous pensons plutôt que ce ne fut là qu’un prétexte qu’il donna pour fuir les complications politi-ques du pays, alors en pleine décomposition. Mạc Đăng Dung ne tarderait pas en effet à usurper le trône des Lê en 1527. Dans sa retraite, il a écrit des récits en prose émaillés de poèmes : le Truyền kỳ mạn lục (Vaste recueil de récits merveilleux) qui peut être considéré comme le modèle de la littérature fantas-tique de l’ancien Việt Nam. Il y fait intervenir des immortels, des fantômes, des animaux et des végétaux doués du pouvoir surnaturel de prendre la forme humaine.

Dans quel but ? D’abord pour faire la satire indirecte de la société cependant de liberté dans un monde soustrait aux contingences de la société contemporaine, tout comme La Fontaine dans les Fables.

Mais encore et surtout pour exprimer les aspirations inconscientes de l’âme orientale, contrainte à subir le joug de la dure discipline confucianiste, éprise cependant de liberté dans un monde soustrait aux contigences de la condition humaine.

De ce recueil comprenant vingt récits, nous allons donner le plus poétique : Tây Viên Kỳ ngộ (Truyền Kỳ Mạn Lục I, p. 84-117).

La rencontre merveilleuse à l’enceinte de l’Ouest.

Hà Nhân Gia, un étudiant originaire de Thiên Trường1 vint s’établir à la

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1 Dans la province de Nam Định (Nord Việt Nam)

Capitale dans les années du règne Thiệu Bình (1434-1442) pour suivre l’en

seignement du maître Ức Trai.1

Il traversait chaque matin le quartier Khúc Giang en se rendant à son école . Dans ce quartier se trouvait le vieil hôtel du Grand Précepteur Imperial Trần. Et Nhân Gia y voyait fréquemment deux jeunes filles rire à son passage derrière un mur tombant en ruine qui ceinturait le Jardin de l’Ouest. A la fin, n’y tenant plus, il s’enhardit à leur adresser la parole. Elles lui sourirent en lui disant :

-Nous avons noms Saule Flexible et Pêcher Rose. Auparavant, nous étions servantes chez Son Excellence le Grand Précepteur Impérial. Depuis sa mort, nous nous sommes enfermées dans notre chambre parfumée. Mais aujourd’hui que le printemps est revenu, nous aspirons à être comme la fleur et l’herbe qui s’épanouissent au soleil, pour ne pas nous montrer ingrates envers la belle lumière printanière.

L’étudiant invita les deux jeunes filles à le suivre à sa demeure, où ils causèrent d’abord joyeusement. Puis, lorsqu’il poussa la liberté à taquiner la fleur et la lune2, elles lui dire pudiquement :

-Ignorant jusqu’ici les jeux du printemps, nous avons peur que la fleur n’en soit bouleversée, le saule affolé, et que notre comportement n’y perde son éclat rose et vert pour devenir vulgaire.

-Que la fleur veuille bien accepter la caresse de l’abeille, répondit-il. Je vous assure que je n’y mettrai pas la violence de la pluie et du vent.Ils éteignirent la lampe et se mirent au lit. Plus il dorlotait leur beauté de perles, et plus son cœur s’enivrait, dans les ébats tumultueux des oreillers et des couvertures où ils connurent la suprême félicité. Au milieu de son rêve d’ascension de la montagne Vu3, l’étudiant demanda aux deux jeunes filles de composer des poèmes en l’honneur de cette aventure.

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1 Le célèbre Nguyễn Trãi, un des principaux collaborateurs de Lê Lợi, fondateur de la dynastie des Lê.

2 Faire l’amour.

3 Un empereur chinois vit en rêve une belle femme qui prétendait être le génie de la montagne Vu. Depuis, l’expression “faire l’ascension de la montagne Vu” signifie les jeux de l’amour.

Mlle Saule se mit à déclamer :

La sueur, parfumée de musc, inonde ma chemise de gaze,

Cependant que mes verts sourcils se froncent légèrement comme le caractère Huit1.

Que le vent de l’Est agite doucement les branches d’arbre,

Car mon échine gracile ne saurait supporter ses souffres violents.

Mlle Pêcher enchaîna :

Dans l’appartement secret, la clepsydre laisse tomber l’eau goutte à goutte,

Cependant que la lampe d’argent éclaire les rideaux roses.

Recommandation est faite à celui qui veut cueillir des branches d’arbre :

Qu’il cueille la branche de pêcher dans la fraicheur de son éclat vermeil2.

L’étudiant applaudit en riant aux éclats :

-Vous avez décrit les secrets d’alcôve à la perfection, avec des mots fleuris et des idées jolies comme du brocart. Je crains bien de ne pouvoir vous égaler.

Puis il récita :

Fatigué, je ferme la porte de ma chambre d’étude pour rêver indolemment,

Et suis arrivé par aventure à la montagne Vu.

Des papillons y volettent, montrant fièrement leur blancheur,

Et des fleurs s’y épanouissent, toutes vermeilles.

Que les loriots du même nid s’ébattent d’une même ardeur,

Ce n’est pas moi qui interdirais à l’eau de s’écouler à l’orient ou à l’occident3.

Vos deux poèmes sont également ravissants,

Seule les distingue la pensée élégante qui les anime.

A partir de ce jour, les jeunes filles prirent l’habitude de venir chez l’étudiant la nuit et d’en repartir au matin. Quant à lui, il se considérait comme ayant fait une rencontre aussi merveilleuse que celle de Bùi Hàng et supérieure à celle

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1 Le caractère Huit 八 présente deux branches écartées comme les sourcils d’une femme.

2 Remarquer que Mlle Saule implore des caresses légères à cause de sa constitution frêle, tandis que Mlle Pêcher chante orgueilleusement l’épanouissement de sa beauté vermeille.

3 L’etudiant veut dire qu’il aime les deux jeunes filles d’un egal amour.

de Tăng Nhu1.

Une nuit qu’il pleuvait à verse, les deux jeunes filles vinrent chez lui, toutes trempées, en disant :

-De peur e manquer à notre promesse, nous avons affronté la pluie, mais nos corps d’hirondelles ne peuvent supporter les rigueurs du froid.

L’étudiant enveloppa de ses habits Mlle Saule et lui dit en plaisantant :

-Vous êtes, ma chérie, d’une beauté incomparable en ce monde. Et vous justifiez pleinement ce vers “La beauté de la femme égale celles des fleurs

En entendant ces mots, Mlle Pêcher baissa la tête, toute confuse. Et elle s’abstint de venir plusieurs jours de suite.

L’étudiant s’informa auprès de Mlle Saule :

-Est-ce que Pêcher se porte bien ces derniers jours ?

-Oui. Mais l’autre jour, vous avez commis la maladresse de faire mon seul éloge, ce qui l’a humiliée et empêchée de revenir ici.

Puis Mlle Saule qui lui remit un poème de son amie :

De taille vaporeuse comme le brouillard, et d’esprit pur comme la neige,

Toutes deux nous sommes comme des pistils à peine éclos et des branches effilées également gracieuses2.

Dommage que le Souverain de L’Est se soit montré partial 3

Pour laisser une branche se flétrir et l’autre s’épanouir.

En lisant ce poème, l’etudiant fut déchiré de remords; il composa un autre poème sur les mêmes rimes pour y répondre :

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1 D’après la légende, Bùi Hàng est venu demander à boire dans une paillote. Il y aperçut une vieille femme et sa fille Vân Anh d’une beauté angélique. Il demanda aussitôt celle-ci en mariage. On lui fit réponse qu’il aurait à apporter en cadeau de noces un mortier et un pilon en jade pour réduire en poudre un certain médicament récemment offert par un immortel. La chance favorisa Bùi Hàng qui réussit à se procurer les objets demandés. Il épousa Vân Anh qui était une immortelle, et devint Immortel lui-même.

Tăng Nhu s’égara une nuit dans un chemin de montagne. Il aperçut au loin des lumières, s’y dirigea, et parvint à un palais féerique où étaient assemblées plusieurs Immortelles célèbres. Il passa la nuit à boire et à composer des poèmes evec elles.

2 Le pistil désigne Mlle Pêcher et la branche effilée désigne Mlle Saule.

3 Le printemps, qui règle l’éclosion des fleurss. Ici : l’étudiant.

Le mal d’amour engendre la fatigue de l’esprit,

Mais qu’est-ce qui a bien pu causer votre ressentiment ?

Je demande à la messagère du vent de vous faire parvenir ce mot Personne n’a laissé une branche se flétrir et l’autre s’épanouir.

Mlle Pêcher reçut ce message, et fréquenta son amant comme autrefois. Survint la fête de la pleine lune du premier mois, que la jeunesse de la Capitale célébra en allant en foule visiter les sites pittoresques. Les deux jeunes filles dirent alors à l’étudiant :

-Nous sommes peinées que notre pauvre paillote, qui est toute proche d’ici, n’ait pas encore reçu l’honneur de votre visite. Par ce temps magnifique, vous plairait-il d’y venir, en passant par dessus notre condition modeste de servante et la vétusté de notre pauvre demeure ?

L’étudiant accepta avec joie. Ils partirent ensemble. Arrivés à l’enceinte de l’Ouest, ils franchirent une haie d’arbustes, contournèrent une muraille, puis un étang de lotus à quelques toises de là, et arrivèrent à un jardin planté d’arbres très feuillus et de fleurs magnifiques. Mais la lumière blafarde de la lune ne permettait pas de distinguer nettement ces végétaux, d’où s’exhalait un parfum suave et tenace.

Les deux jeune filles délibérèrent en se regardant :

-L’intérieur est trop vétuste ; dressons plutôt le couvert dans le jardin.

Puis elles étendirent par terre une natte faite de lamelles de bambou, allumèrent une torche de résine, et servirent de l’alcool d’amandes avec des gâteaux de séné. Tous les plats se révélèrent délicieux.

Au cours du festin, arrivèrent successivement des belles jeunes femmes qui furent présentées comme Mlle Prunier, Mlle Abricotier, Mlle Grenade, etc. On se sépara à la pointe du jour ; les deux amies de l’étudiant le reconduisirent jusqu’au mur de l’enceinte. L’aube blanchissait lorsqu’il atteignit sa chambre d’étude.

Quelques mois après, l’étudiant reçut de ses parents une lettre lui enjoignant de rentrer immédiatement pour épouser une jeune fille qu’ils lui avaient choisie. Grand fut l’embarras de notre héros, qui ne voulut pas s’arracher à ses amours. Ses amies s’en aperçurent et lui dirent :

-Pareilles au saule et au jonc, nous ne pouvons pas assumer les charges du ménage. D’autre part, votre femme doit appartenir à une illustre famille, et notre condition modeste ne nous permet pas d’aspirer à cette haute situation. Tout ce que nous souhaitons, c’est qu’après votre retour au village, vous puissiez vous arracher des attaches du sol natal pour revenir nous voir, si votre amour pour nous persiste. Alors, la branche de saule de Hàn Hoành1 vous attendra avec ses longs filaments, et la fleur de pêcher de Thôi Hộ2 sourira toujours au vent du printemps. Arrangez-vous pour que votre nouvelle hyménée ne vous fasse pas oublier vos anciennes amours, et nous laisse devenir des fleurs abandonnées dans cette rive Sud du fleuve.

Ils burent ensemble, et chantèrent chacun un poème d’adieu.

Mlle Saule chanta la première :

A l’Est de la Capitale se trouve un terrain envahi par les herbes,

Sur lequel s’élèvent quelques masures délabrées au coin du quartier Khúc Giang.

Nous y vivons, néglisant nos peignes d’argent et nos fards roses

Dans la solitude d’un papillon enveloppé de nuages et de brouillard.

A peine atteignons-nous seize printemps,

Et l’abeille et le papillon, messagers de l’hyménée, n’ont pas connu notre retraite.

Tout le jour nous restons appuyées dans notre nid d’abricotiers et de roses

Sans oser confier nos ardeurs printanières à personnes.

Vient à passer un jeune étudiant, élégant,

De vaste savoir et de grand talent, connaissant par cœur les livres canoniques.

Dès notre première entrevue par dessus la crête du mur,

Nos cœurs se sont accordés, avant que soit promis le mariage.

J’ai alors dressé ma modeste plante à la lumière solaire

En espérant du Souverain de l’Est qu’il la fasse s’épanouir.

Les fils ténus, à la caresse du vent, exhalent aussitôt leur parfum,

Et à la chaleur du soleil, l’arbre vert s’anime.

La fleur, imbibée de rosée, découvre son pistil,

Chassant la tristesse qui l’accablait jusqu’alors durant les jours de printemps.

Au rythme des chansons et des castagnettes, je danse, souple comme la taille de Tiểu Mẫn1

Et délicieusement fardée comme le sein de Tây Tử 2.

Mais à peine sur les doigts ai-je compté une année

Que vous vous réveillez de votre rêve d’aventure sur les monts et les fleuves

Je pleure parce qu’un poisson3 vous a apporté des nouvelles du village natal,

Et je m’évanouis au relais planté de cerisiers, où vous attend votre cheval qui connaît bien son chemin.

Le bruit de votre diligence qui se précipite vers le grand relais d’adieu

Me remplit d’inquiétude quand j’implore pour vous le dieu de la route.

A l’enceinte de l’Ouest, la pluie pleure lugubrement sur les abricotiers jaunes,

Et les eaux froides du Nam Phô1 étendent leur tristesse sur l’herbe verte.

Vous partez, et je reste ! Nos ombres désormais se séparent !

Pour vous, je me force à chanter cet hymne ;

Savez-vous que bientôt quelqu’un aura ses entrailles déchirées ?

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1 Tiểu Mẫn (Xiao Min 小 愍), concubine du poète Bạch Cư Dị (Bai Ju Yi 白 居 易), était célèbre pour sa taille svelte.

2 Tây Tử, ou Tây Thi (Xi Shi 西 施), était une beauté célèbre dans l’Histoire de Chine. Elle fut offerte par le roi Việt Câu Tiễn (Yue Gou Jian 越 勾 踐) au roi Ngô Phù Sai (Wu Fu Cha 吳夫 差)pour troubler l’esprit de celui-ci et saboter son royaume.

3 D’après la légende, une femme dont le mari voyageait au loin voulut lui envoyer une lettre. Ne connaissant pas son adresse, elle intoduisit la lettre dans la bouche d’un poisson qu’elle lâcha dans le fleuve. Il arriva que le mari recueillit ce poisson, l’ouvrit, et trouva la lettre de sa femme.

Allusion à un poème de Giang Yểm :

Au printemps, l’herbe est d’un vert tendre

Et l’eau du fleuve est d’un bleu fonce.

En vous disant adieu à Nam Phổ

Mon cœur se serre de douleur.

Depuis, Nam Phổ qui se trouve dans la province de Hou-Pei, sert à désigner l’endroit où l’on se dit adieu.

Mlle Pêcher aussi se met à chanter :

En automne, le ciel se colore de bleu émeraude, et les feuilles virent au pourpre,

Tandis que dans toutes les maisons retentit le bruit sec du maillet qui frappe sur les pierres froides du lavoir1,

Que des hirondelles isolées s’envolent vers le Sud, et que des grues sauvages franchissent la frontière.

La brume du soir est lugubre, accrochant partout la tristesse.

Vous partez, ô mon chéri, laissant mon cœur tourmenté,

Pour oublier notre ancien amour, et nouer votre nouvelle hyménée,

Pour que soupirent les chrysanthèmes de Hà Phân et que se morfondent les orchidées de Sở Uyển 2

Confuse devant le plateau d’argent, je remplis votre verre de jade

Sachant bien que la séparation est facile, mais que malaisée est la réunion.

Hélas ! dans cette chanson d’adieu, combien de soupirs tristes j’exhale !

Que n’ai-je un fil de soie pour retenir votre selle !

Que n’ai-je des coteaux pour empêcher votre barque de passer !

Que n’ai-je le chant du loriot pour vous rappeler sans cesse !

Douloureuse est cette séparation : pour quand votre retour ?

La fleur reste dans la grotte, mais la source coule irréversiblement vers le monde des mortels 3,

Et vous laissez votre petite femme subir ce triste sort !

Hélas ! je voudrais chanter encore un couplet, mais les larmes emplissent déjà mes yeux.

L’étudiant pleura aussi, et s’arracha aux adieux de ses amantes. Rentré chez lui, il apprit que le jour de son mariage était déjà fixé. Il dit alors à ses parents :

-Je comprends que le désir de tous les parents est de voir leurs fils prendre femme et leurs filles prendre mari, pour assurer le bonheur de la famille. Mais, élevé dans les rites et de naissance aritocratique, je voudrais parfaire

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1 En automne, les ménagères lavent les tissus pour préparer les vêtements d’hiver.

2 L’herbe de Hà Phân est célèbre pour son parfum et les orchidées de Sở Uyển pour lerur beauté.

3 Allusion à un poème sur le paradis :

La fleur reste dans la grotte pour y vivre éternellement

Tandis que l’eau de la source coule sans esprit de retour vers le monde des mortels.

mon éducation pour me créer un avenir illustre. Si je devais m’enliser dans les plaisirs de la vie conjugale, il serait à craindre que je néglige la lampe et les livres.Ne serait-il pas préférable que je retarde les noces aux flambeaux fleuris pour me consacrer à l’étude près de la fenêtre ? Quand j’aurai satisfait les aspirations de ma vie, alors il sera temps de songer au mariage.

Ses parents ne voulurent pas le contrarier, et aceptèrent d’ajourner la célébration des noces. Cependant, songeant sans cesse aux demoiselles Pêcher et Saule, il restait morose chez lui. Il sauta alors sur son cheval et reprit la route de la Capitale. Il fut accueilli joyeusement à l’Enceinte de l’Ouest.

- Comment ? Vous êtes à peine marié, et les joies de l’hyménée sont encore ardentes que vous songez déjà à revenir ici ?

L’étudiant raconta à ses amantes ce qui s’était passé ; il en fut complimenté :

-Vous êtes vraiment un homme de parole, et vous n’avez pas manqué à votre promesse d’amour.

Puis elles préparèrent tout pour qu’il put continuer ses études. Mais celles-ci n’avaient été qu’un prétexte pour retrouver les belles femmes, et il négligea ses livres pour s’enfoncer dans les délices de l’amour.

Cependant les belles journées fuirent rapidement, et bientôt survint l’hiver. Un jour que l’étudiant rentra chez lui, il trouva les jeunes filles en larmes. Etonné, il leur en demanda la cause. Etouffant leur pleurs, elles lui dirent :

-Nous sommes malheureusement atteintes du mal du vent et de la rosée. Nos nerfs et nos os souffrent atrocement lorsque tombe la froide neige, comme les bourgeons tendres qui se fanent lorsque prend fin le printemps. Contre les riguerurs du vent, aucun médicament n’est efficace, et notre destinée de fleurs est vouée à un anéantissament inéluctable. Qui sait où iront s’égarer nos âmes parfumées ?

Effrayé, l’étudiant les interrogea :

-Quoiqu’uni à vous sans passer par les bons offices d’une entremetteuse, j’ai contacté avec vous l’union des fils rouges. Pour quoi parlez-vous de séparation dont je suis épouvanté à l’égal d’un oiseau atteint de la flèche ?

Mlle Saule répondit :

-Se délecter dans l’amour, tel est vœu de tout le monde. Mais le sort fixé par le Ciel ne peut être évité, et l’heure de notre retraite a sonné. Bientôt, nos fards rouges seront écrasés dans la boue, et nos fleurs jaunes se répandront par terre. Et, un de ces lendemains, ne seront plus qu’un souvenir les délices des trois printemps que nous avons vécus ensemble.

Notre étudiant, profondément affecté, ne pouvait se résigner à admettre la fin de ses amours. Mlle Pêcher lui dit alors :

-La vie humaine est comme une fleur sur l’arbre. Le temps où elle est fraîche et celui où elle se fane sont fixés irrévocablement, sans qu’on puisse s’y opposer, ne serait-ce qu’un instant. Tout ce que nous souhaitons, c’est que vous vous portiez bien et que vous travailliez ardemment de manière que vos efforts d’assembler les feuilles de saules 1 ne soient pas vains, et qu’un jour vous puissiez aller admirer les fleurs dans le Jardin Impérial 2. Alors, même si nos corps devaient être enfouis dans le ruisseau, nous serions satisfaites.

- Vous prédisez votre mort, mais pour quand ?

-Cette nuit, sans tarder! Quand vous verrez l’orage se déchaîner, nous serons mortes. Si vous pensez encore aux feux et à l’encens qui nous unissaient, veuillez passer à l’Enceinte de l’Ouest pour nous visiter. Dans la tombe, nous sourirons de bonheur.

-C’est si pressé que cela ? Seul en pays étranger, sans aucune fortune, comment pourrai-je vous faire des funérailles honorables ?

-Nos destinées sont minces comme une feuille de papier, et nos corps légers comme une feuille d’arbre. Mortes, nous aurons les nuages pour parasols, le vent pour char, l’herbe pour lit, les gouttes de rosée en guise de collier. Les loriots chanteront et les papillons battrons des ailes pour conduire notre deuil. Pour nous enterrer, une touffe de mousse suffira, et un ruisseau nous accompagnera à notre dernière demeure. N’ayez donc aucun souci quant à notre enterrement, pareil à la fumée qui se désagrège et au vent qui se lève.

Puis elles lui confièrent leurs souliers ornés de perles :

-Que ce ci vous rappelle notre souvenir, si la douleur de la séparation est incommensurable. Nous n’avons que ce petit cadeau à vous offrir avant de mourir. Mettez ces souliers quand vous voudrez penser à nous : ce serait comme si nous étions présentes sous vos pieds.

Effectivement, elles ne vinrent pas chez lui cette nuit-là. Vers minuit, un orage épouvantable se déchaîna. Appuyé à la balustrade de sa chambre, l’étudiant souffrir atrocement comme s’il avait perdu ses esprits. Il se rendit alors chez un vieillard du voisinage pour lui raconter son aventure.

-Rêvez-vous ? dit le vieillard. Mais ce jardin dont vous parlez est complètement inhabité depuis la mort de Son Excellence le Grand précepteur impérial. Il n’y reste plus qu’un autel dont même aucun serviteur ne prend soin. Comment pourrait-il y avoir tant de jeunes filles, comme vous les y avez vue ? Ce sont certainement des filles libertines, à moins que ce ne soient des âmes en peine qui se sont manifestées.

Le lendemain matin, l’étudiant conduisit le vieillard à l’enceinte de l’Ouest où ils ne trouvèrent que des masures délabrées et désertes, quelques pêchers et quelques saules déracinés par l’orage récent. Des fleurs tombées jonchaient le sol du jardin, et des filaments arrachés pendaient à la haie.

-N’est-ce pas ici le lieu que vous avez visité une fois ? dit le vieillard. Mlle Grenade, c’est le grenadier. Et Mlle Prunier, Peuplier, Pêcher, Abricotier, etc, ne sont pas autre chose que des fleurs qui ont emprunté des noms de personnes. Il est étrange que ces végétaux aient pu se métamorphoser ainsi.

L’étudiant comprit soudain qu’il avait prit pour amantes des âmes de fleurs. Il revint chez lui pour examiner les souliers qui lui avaient été offerts en souvenir. Mais à peine les eut-il pris dans ses mains qu’ils se transformèrent en pétales et s’envolèrent.

Le lendemain matin, il mit en gage un de ses vêtements pour avoir de quoi préparer un repas qu’il offit aux mânes de ses amantes. Puis il récita à leur intention cette oraison funèbre :

O mes chéries !

Pure comme de la glace était votre taille,

Et vaporeuse comme la rosée semblait votre physionomie.

A la seule nature était due votre beauté

Qui dédaignait d’utiliser les fards du commun des mortels.

Unique était votre grâce

A nulle autre pareille en ce monde.

Fleur du Jardin des Immortels, vous méprisiez les favoris de la fortune

Pour ne fréquenter que des gens à l’âme pure, auprès d’une fenêtre tapissée de papier

Comme deux plants de jasmin qui poussent ensemble dans un vase,

Ou comme deux canards qui s’enlacent amoureusement dans l’étang.

Je croyais pouvoir nager longtemps dans l’océan de tendresse ;

Pourquoi êtes-vous rentrées si tôt au village des Immortels ?

Mais soudain la fleur a brisé son destin

Pour laisser en moi une douleur inextinguible.

Je reste désemparé, comme emporté par le vent, ou ne serait-ce pas plutôt le vent qui s’appuie sur moi pour s’envoler ?1

En me rappelant que l’être est le néant, et que le néant est l’être, mon cœur se glace au milieu de la nuit.

Lugubrement le rose se fane devant le pavillon,

Et le vert tourne au gris sur le bord de l’étang.

Enfouie est la perle,

Et le parfum enterré,

Comme les hirondelles qui s’enfuient derrière le vent d’automne

Pour réveiller de leur rêve de printemps les gens endormis dans les plaisirs

Hélas ! un matin de séparation

Suffit à engendrer la douleur pour dix mill années.

Comment rappeler vos esprits

Disparus sans laisser de traces ?

S’ils ne sont pas entièrement dispersés,

Qu’ils reviennent jouir de ce verre d’alcool que je leur offre !

Hélas ! quelle douleur !

Cette nuit-là, l’étudiant vit en rêve les deux jeunes filles qui le remercièrent chaleureusement :

-Hier, vous avez bien voulu prononcer à notre intention une oraison funèbre qui nous fait grandement honneur. Infiniment émues de ce geste, nous venons vous en remercier.

L’étudiant voulut les retenir, mais elles s’envolèrent et s’évanouirent en un instant.

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1 Liệt Tử, un auteur taoïste, écrivait : “Mon cœur est dégagé, et se laisse emporter par le vent dans n’importe quelle direction. Mais je ne sais pas si c’est moi qui chevauche le vent, ou si c’est le vent qui me chevauche”. Pensée qui exprime la fusion de l’individu dans le Grand Tout.

Comme tous les autres récits du Truyền Kỳ Mạn Lục, celui-ci vaut surtout par les très beaux poèmes dont il est orné.

D’autre part, il y a lieu de remarquer que le langage des deux héroïnes du récit est volontairement à double sens, pouvant être appliqué à la fois à des êtres humains et à des végétaux. La littérature sino-viêtnamienne abonde en effet de ces images gracieuses où la belle femme est comparée à une fleur de pêcher, un filament de saule, et où le désir d’amour est assimilé à l’instinct des végétaux qui aspirent la lumière solaire pour s’épanouir. Ainsi donc, tandis que notre étudiant nage dans un rêve délicieux, croyant avoir affaire à de vraies jeunes filles, le lecteur perpicace peut déjà soupçonner en celles-ci des esprits de fleurs. De ce fait, le récit est baigné dans une atmosphère irréelle, imprécie, qui tantôt le situe dans le monde des mortels, avec ses ardeurs bien humaines, et tantôt dans un monde surnaturel où flottent les esprits.

Toutefois, il faut reconnaître que l’auteur a manqué d’adresse en poussant trop loin ce jeu subtil. Lorsque les deux jeunes filles déclarent à leur amant qu’elles vont mourir au cours de la nuit, au milieu d’un orage, nous sommes choqués de ce que l’étudiant n’ait pas songé un moment à se demander comment des êtres humains peuvent mourir ainsi, et n’ait pas cherché à requérir les secours d’un médecin, par exemple. L’artifice poétique est ici trop visible et choque la logique. Rappelons-nous cependant que la logique est le moindre souci des poètes qui la négligent volontiers dans leur poursuite de l’idéal. Nous verrons en quoi consiste cet idéal dans les pages suivantes.


1 Hàn Hoành, un poète de la dynastie des Đường (T’ang), écrivait à son amante :

O saule de Chương Đài qui fus vert l’an passé, où es-tu maintenant ?

Depuis, l’expression “saule de Chương Đài” sert à désigner une amante absente.

2 Thôi Hộ, en revenant au jardin où il avait rencontré l’an passé une belle jeune fille, ne la revit plus. Il écrivait alors sur les murs du jardin ce poème:

Ce jour, l’an passé, dans cette demeure,

J’ai vu un visage humain et une fleur de pêcher resplendir d’un même éclat vermeil.

Aujourd’hui je ne sais où s’est réfugié le visage humain,

Et ne vois plus que la fleur de pêcher qui sourit au vent du printemps comme autrefois.

1 Tôn Kinh était trop pauvre pour s’acheter du papier. Il assemblait des feuilles de saule et s’exerçait à écrire dessus.

2 Les lauréats des examens littéraires étaient admis à l’honneur de visiter le Jardin Impérial.

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