Les Chefs D’œuvres De La Litterature Vietnamienne

21 Tháng Năm 20142:29 SA(Xem: 9653)
I.- A travers les traductions en français ou en anglais de certains chefs d’œuvres tels que le Đoạn Trường Tân Thanh, le Chinh Phụ Ngâm, le Truyền Kỳ Mạn Lục, le public occidental a pu constater que la littérature viêtnamienne est susceptible d’apporter au patri-moine intellectuel de l’humanité en contigent non négligeable de modes originaux de penser et de sentir. Une grande lacune reste néanmoins à combler : une vue d’ensemble de la littérature viêtnamienne, de ses tendances et de ses sources d’inspiration, depuis le Xè siècle où le Việt-Nam fut constitué en nation indépendante jusqu’à nos jours. C’est à cette tâche que nous nous sommes attelés, conscients de son ampleur qui dépasse de loin nos capacités, mais soutenus par l’idée que notre travail pourra contribuer, si peu que ce soit, à faire mieux connaître notre patrie à l’étranger.

Le présent ouvrage n’a pas toutefois l’ambition de brosser un tableau complet de la littérature viêtnamienne, d’étudier tous les genres littéraires, ni même d’aborder les œuvres d’érudition (histoire, géographie, rites, etc.), ces matières risquant de rebuter le lecteur étranger. Nous nous proposons simplement de présenter à celui-ci un certain nombre de chefs d’œuvres de notre littérature nationale, ceux qui nous paraissent les plus aptes à révéler la pensée et le sens esthétique du peuple viêtnamien. Ceux qui portent sur des sujets historiques nous fourniront aussi l’occasion d’entr’ouvrir au lecteur étranger les portes de l’Histoire du Việt-Nam, histoire très mouvementée par le conflit qui ne cessait d’opposer, durant dix siècles, les familles féodales les unes aux autres, et le peuple viêtnamien à l’envahisseur étranger.

II.- Par littérature viêtnamienne , nous comprenons :
- la littérature écrite par nos anciens lettrés en langue chinoise, la seule employée jusqu’au milieu du treizième siècle, et très fréquemment jusqu’au début du vingtième ;

- la littérature écrite en Nôm, c’est-à-dire en caractères chinois modifiés pour reproduire les sons de la langue vietnamienne. Le Nôm fut inventé (ou plutôt vulgarisé) par Hàn Thuyên au XIIIè siècle, mais n’a été largement employé, concuremment avec la langue chinoise, qu’à partir du XVè siècle ;

- la littérature écrite en quốc ngữ, ou alphabet latin. Le quốc ngữ, inventé par des missionnaires espagnols, fut mis au point par le Père Alexandre de Rhodes au XVIIè siècle. Il ne fut utilise à ses débuts par les missionnaires chrétiens pour les besoins de leur mission évan-gélique, et n’a pas été adopté par les Viêtnamiennes qu’à partir de la fin du XIXè siècle, avec la domination françaises.

À côté de cette littérature écrite, appelée parfois pompeu-sement “littérature savante” (văn chương bác học), il existe une littérature populaire (văn chương bình dân), de source anonyme, et transmise d’abord oralement de génération en génération, puis consignée dans des recueils en caractères nôm ou en quốc ngữ.

Si la littérature populaire existe chez tous les peuples, elle y a tôt cédé la place aux œuvres des écrivains qui ont disposé de bonne heure d’une langue écrite nationale. Il n’en était pas de même chez nous où la langue chinoise était, jusqu’au début des Temps Modernes, la seule écriture connue et utilisable par les lettrés, l’élite, bien sûr, de la société, mais n’en constituant après tout qu’une minorité. Il s’ensuit qu’au Việt-Nam la littérature populaire acquiert une importance exceptionnelle, parce que reflétant la pensée et les sentiments de la masse de la nation, masse qui ne suivait pas toujours son élite en tout ce qui concernait sa conception du monde et de la vie. Bien entendu, ces deux grands courants de pensée de l’élite et de la masse de la nation ne restaient pas étrangers l’un à l’autre, mais s’interpénétraient de plus en plus jusqu’à arriver à se fondre en un seul à l’heure présente. Nous en reparlerons plus tard.

III.- Dans l’Histoire de la Littérature écrite viêtnamienne, on peut distinguer nettement deux grandes périodes d’inégale durée, séparées par l’intervention française à la fin du XIXè siècle. Jusqu’à la venue des Français, en effet, le Việt-Nam a évolué exclusivement dans l’orbite du monde chinois, et sa littérature, aussi bien que sa culture, ses institutions politiques et sociales, a subi forcément l’empreinte chinoise. Avec le contact de la civilisation française, de nouveaux de penser et de sentir sont apparus, qui ont renouvelé radicalement les thèmes et la technique de la littérature traditionnelle. Qu’on n’en conclue pas cependant que jusqu’à la fin du XIXè siècle la littérature viêtnamienne était inféodée à la littérature chinoise et qu’à partir du début du XXè siècle elle est inféodée à la littérature française. Le même dynamisme, la même vitalité qui a empêché le Việt-Nam d’être devenu une province chinoise puis un territoire de la France d’outre-mer sur le plan politique, a empêché la littérature vietnamienne d’être devenue une branche de la littérature chinoise ou française sur le plan culturel.

Une autre différence, qui dérive de la première mais qui a trait à une autre catégorie de faits, doit être signalée : jusqu’au XXè siècle, à part quelques mandarins chargés de rédiger l’histoire officielle du pays, il n’y avait pas chez nous d’écrivains professionnels. De fait, leurs œuvres n’étaient jamais destinées au commerce. Elles étaient, soit transmises oralement, soit consignées dans des papiers de famille et jamais éditées du vivant de l’auteur. L’édition, quand il y en avait, rarement d’ailleurs, était toujours assurée à titre posthume par les pieux soins des descendants, disciples ou admirateurs. A partir du XXè siècles, au contraire, avec les bouleversements qu’entraîne un nouveau régime, est née dans la société vietnamienne une classe de gens qui font profession d’écrire, soit par vocation, soit pour y trouver des moyens d’existence.

La combinaison de ces deux faits : initiation à la culture française, et professionnalisation du métier d’écrivain, aboutit à différencier nettement l’une de l’autre la littérature ancienne et la littérature moderne quant au fond, à la forme et au choix des genres littéraires, etc. La littérature ancienne, prise dans son ensemble, donne en effet une impression d’immobilisme, de monotonie, de répétition inlassable d’un nombre limité de thèmes avec un nombre limité de moyens d’expression, strictement définis et légiférés. Nous n’en voulons pour preuve que ces deux constatations évidentes :

1/. N’écrivant pas pour satisfaire un public éventuel, mais simplement pour sa satisfaction personnelle, pour extérioriser des idées et des sentiments, surtout des sentiments, qui le hantent, le harcèlent ou même parfois le torturent, l’auteur ancien mettait son moi dans tout ce qu’il écrivait, même dans la description des paysages ou dans la narration des évènements. Et conséquemment, il négligeait les détails pour s’en tenir à une esquisse très sobre de l’ensemble du sujet qu’il voulait peindre. L’écrivain moderne, au contraire, se doit d’être plus objectif, plus rationaliste, plus proloxie en détails pour faire voir aux autres ce qu’il voit, faire sentir aux autres ce qu’il sent.

2/. Presque toute la littérature ancienne appartenait au genre lyrique, hormis quelques rares œuvres à caractère officiel (proclamations au peuple ou à l’armée, appels à la résistance) ou destinées à des relations sociales (compliments, oraisons funèbres). Même les longs romans en vers n’étaient qu’un prétexte employé par l’auteur pour exprimer ses rêves et ses sentiments personnels devant les problèmes éternels de la vie et de la mort, du bien et du mal, de la justice sociale, etc . . . Par contre, faisaient presque complètement défaut ou étaient très peu développés des genres littéraires qui font fureur aujourd’hui : le reportage, le roman de mœurs, le théâtre, l’éloquence politique. Nous ne parlons pas du journalisme qui est né d’hier seulement, avec les moyens modernes de l’imprimerie.

N’exagérons pas toutefois le caractère d’immobilisme de la littérature ancienne qui, au cours des dix siècles de son existence, a connu aussi des tournants, des changements de direction, voire des innovations, mais qui n’ont pas réussi à briser le moule du monde antique. Ainsi, dans cette première période, nous pouvons nous baser d’une part sur le degré de développement de la littérature en nôm, la seule véritablement nationale, et d’autre part sur l’orien-tation de la pensée philosophique, pour y distinguer des subdi-visions. Il se trouve heureusement que, dans les grandes lignes, cette méthode de division cadre à peu près avec l’histoire politique du pays, tant il est vrai que sous les monarchies absolues – comme c’était le cas pour le Viet-Nam – le facteur politique conditionne le facteur culturel.

En nous guidant sur ces critères, nous pouvons donc, grosso modo, distinguer dans le développement de la Littérature ancienne trois étapes :

1/. L’étape du début, qui va du Xè au XVè siècle, englobant les premières dynasties nationales après la longue domination chinoise. Dans cette période, tandis que la littérature en chinois a atteint d’emblée une grande élévation de pensée grâce à l’influence du Bouddhisme, la littérature en nôm, apparue tardivement, n’a produit encore que très peu d’œuvres.

2/. L’étape du développement (XVè jusqu’au milieu du XVIIIè siècle) englobant les dynasties des Lê (1re période), des Mạc, puis des Lê restaurés. Dans cette seconde période, le Confucianisme est devenu doctrine officielle de l’Etat et a rélégué au second plan le Bouddhisme. D’autre part, la littérature en nôm est de plus en plus employée, quoique cherchant encore sa voie dans de nouveaux rythmes du vers.

3/. Enfin la littérature en nôm a atteint son plein essor à partir de 1740, c’est-à-dire que la dernière étape de la littérature ancienne, qui marque aussi son apogée, englobe la fin de la dynastie des Lê, la dynastie des Tây Sơn et celle des Nguyễn. Dans cette période, les lettrés, durement éprouvés par les malheurs du temps, ont en général moins de foi en la culture confucianiste qui a fait faillite pour verser dans une conception plus individualiste de la vie (sauf quelques vigoureuses exceptions).

La littérature moderne, qui emploie exclusivement le Quốc-Ngữ, marque, sur le plan culturel, l’entrée du Việt-Nam dans un monde infiniment plus vaste et plus grisant que l’antique monde chinois. Malgré sa relative brièveté, nous pouvons aussi y distinguer trois subdivisions :

1/. Les débuts de la littérature en Quốc-Ngữ, marqués par la lutte inégale entre l’influence chinoise décadente et l’influence française montante, et par l’acceptation résignée de la domination française comme un fait historique inévitable et, à un certain point de vue, heureux pour les destinées du pays.

2/. La grande révolution littéraire des années 1930-40 marquée sur le plan littéraire par la défaite écrasante des vieilles règles scolastiques, et sur le plan de la pensée par une attitude angoisée de la jeunesse intellectuelle devant une vie sans idéologie.

3/. La période contemporaine marquée par le réveil de l’esprit national à partir des tragiques évènements de 1945.

Dans ce cadre chronologique, combiné quand il le faut avec la distinction des genres et écoles littéraires, nous présenterons les principaux chefs d’œuvres de la littérature viêtnamienne, dont le choix nous est tracé par la consécration universelle qu’ils ont reçue, du moins pour ceux antérieurs à 1945. Quant aux œuvres postérieures à cette date, le recul du temps n’est pas encore suffisant pour y distinguer le bon grain de l’ivraie. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que nous assistons à l’heure actuelle à un foisonnement prodigieux de la littérature viêtnamienne, tout au moins dans le libre Sud-Việt-Nam. Dans ce foisonnement, nous ne pourrons que glaner timidement quelques gerbes de fleurs qui nous paraissent les plus représentatives des diverses tendances litté-raires, d’un point de vue tout à fait subjectif, donc forcément limité et sujet à erreur. Nous nous en excusons par avance.

IV. – Outre la traduction en français, suivie de diverses notes concernant la biographie de l’auteur, les circonstances dans lesquelles le texte a été composé, et les allusions historiques ou littéraires qui peuvent se rencontrer, nous avons tenu à reproduire le texte original à l’intention du lecteur qui pourrait et voudrait goûter directement le charme du texte original. Exception sera faite toutefois pour les textes originaux écrits en langue chinoise, qui ne seront pas reproduits à notre grand regret pour éviter les difficultés de la typographie des caractères chinois 1. Nous avons songé à en donner au moins la transcription phonétique en viêtnamien, mais en y réfléchissant nous avons du aussi abandonner cette solution, car la transcription phonétique serait d’une part incom-préhensible, donc inutile, aux étrangers même familiarisés avec le viêtnamien; de l’autre, elle serait plutôt dangeureuse, étant donné qu’un même son peut se rapporter à plusieurs caractères différents. Donner la transcription phonétique sans donner le caractère chinois lui-même, c’est courir au devant des méprises inévitables.

Pour ces raisons, les textes originaux de la littérature vietnamienne ne seront reproduits dans cet ouvrage que pour ceux écrits en nôm et en quốc-ngữ, et seulement pour les poèmes. Pour les œuvres en prose, dont l’intérêt réside plus dans les idées exposées que dans leur beauté littéraire, nous avons cru suffisant d’en donner la traduction afin de ne pas surcharger démesurement cet ouvrage.

V. – Quant à la traduction, nous avons mis tout notre soin à lui conserver, autant que possible, le charme du texte original, son rythme, ses images colorées, voire ses métaphores quelque peu archaïques. Mais “traduire, c’est trahir”, surtout lorsqu’il s’agit de traduire en une autre langue les poèmes viêtnamiens qui fourmillent d’allusions historiques ou littéraires, ou encore de
mots à double sens dont il est absolument impossible de rendre toute la saveur.

Prenons par exemple ces deux vers très simples de Trần Tế Xương (1870-1907) où le poète s’est dépeint lui-même :
Cho hay công nợ âu là thế
Mà cũng phong lưu suốt cả đời.
Endetté comme il est ainsi
Il s’adonne aux plaisirs toute sa vie.

On remarquera les deux mots thế et đời (vie) qui terminent les deux vers. Thế, en viêtnamien, signifie : ainsi. Mais thế, en chinois , signifie : vie, monde. (Thế cố 世故 ; les vicissitudes de la vie ; thế gian : le monde, l’humanité)

Le poète a fait, très légèrement et presque sans y penser, un jeu de mots pour relier deux termes qui semblent à première vue n’avoir entre eux aucun rapport.
Autre exemple où le double sens des mots qu’on veut opposer est voulu délibérément. Il s’agit d’une sentence parallèle, et un lettré en donne le premier membre :

Con ruồi đậu mâm sôi đậu.
La mouche se pose sur le plateau de riz cuit avec des haricots.

L’astuce réside en ce que le mot đậu signifie à la fois “ se poser” et “haricots”. Et dans le second membre de la sentence parallèle, il faudra lui opposer un autre mot qui ait la même propriété. Le second lettré y réussit, probablement après s’être arraché bon nombre de poils de sa barbiche :

Cái kiến bò đĩa thịt bò.
La fourmi rampe sur l’assiette de bœuf.

Bò signifie effectivement à la fois ramper et bœuf.

Cette ingéniosité quelque peu puérile, mais à laquelle nos anciens lettrés attachaient une grande importance, nous ne la ferons plus remarquer dans la traduction des textes que lorsque c’est absolument nécessaire à la compréhension du texte. Si nous en parlons ici, c’est simplement pour démontrer qu’il est à peu près impossible de rendre tout le charme d’un texte vietnamien dans une traduction en langue étrangère. Heureusement, là n’est pas la véritable beauté de la Littérature viêtnamienne, qui peut offrir par la fraîcheur de son style et la vigueur de sa pensée un bien meilleur aliment à la curiosité du lecteur étranger. Puisse-t-il y trouver du plaisir, et même, espérons-le, quelque sympathie pour ce petit peuple vaillant qui, tout en luttant presque sans répit afin de maintenir ou reconquérir son indépendance contre des agresseurs cent fois plus puissants, n’a cessé de cultiver la Poésie, la Musique, l’amitié, la paix de l’âme, tout ce qui enfin donne à la destinée de l’homme sa signification spirituelle et morale.
Avant Propos
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